Et si vous prenez un moment pour lire les articles publiés par McKinsey dans les années 2010, comme Questions for your HR chief de 2011 et son rapport de 2012 sur l'état du capital humain, ou encore le rapport de 2011 de Deloitte, intitulé Business-Driven HR Transformation, vous verrez que les priorités des RH n'ont guère changé. Il n'est donc pas surprenant que les collaborateurs des RH soient désenchantés par les initiatives de transformation RH. Ils entendent et font les mêmes choses depuis plus de dix ans.
La différence entre évolution et transformation
Peut-être que nous n'adoptons pas la bonne mentalité en matière de transformation RH. Gartner a décrit la transformation RH comme « l'évolution de la fonction RH dans le but de stimuler l'excellence opérationnelle et de créer davantage de valeur ajoutée », ajoutant récemment « dans un monde du travail hybride » à la fin de cette phrase pour que le sujet redevienne d'actualité.
Une subtilité s'est glissée dans cette définition : « évolution » et « transformation » sont deux termes qui décrivent le changement et qui sont utilisés de manière interchangeable pour parler de transformation RH. Ils n'ont pourtant pas le même sens.
Intéressons-nous à ce qui les différencie.
Une transformation désigne un changement soudain et profond dans la manière dont quelque chose fonctionne, généralement causé par des événements majeurs ou de nouvelles circonstances. Une évolution, en revanche, est plus graduelle et causée par une série de petits changements sur de longues périodes. Ainsi, lorsque nous réfléchissons à nos priorités en matière de transformation RH, sont-elles le reflet d'une transformation ou d'une évolution ?
Il semble que la majorité des initiatives soient évolutives, c'est-à-dire qu'elles apportent des changements progressifs et modifient le travail tout en continuant à faire sensiblement la même chose. Le fonctionnement reste fondamentalement le même et c'est peut-être pour cela que les résultats des collaborateurs n'ont pas vraiment évolué.
Mais face à une technologie transformatrice comme l'IA, une mentalité d'évolution ne suffira plus et rendra vos procédures RH obsolètes. J'en ai récemment discuté avec Joe Fuller, professeur à la Harvard Business School et codirecteur du projet « Managing the Future of Work ». Ce dernier a souligné que la transformation du monde de l'entreprise sous l'impulsion de l'IA est sans précédent et qu'aucune transformation récente dans l'histoire n'est comparable en termes d'ampleur mondiale.
Les modèles de changement qui étaient pertinents pendant la révolution industrielle puis la révolution de l'information ne sont plus prédictifs à l'ère de l'IA. Cette nouvelle période qui s'ouvre devrait suivre une trajectoire en J, c'est-à-dire une courbe de tendance enregistrant une baisse avant de rapidement se redresser et monter en flèche. C'est ce qu'illustre par exemple l'adoption généralisée d'outils tels que ChatGPT.
Que signifie concrètement une courbe en J pour l'adoption de l'IA ?
En tant que professeur de gestion des ressources humaines en université, j'ai remarqué que la technologie permettait de déployer progressivement de meilleurs outils d'évaluation des apprentissages pour les enseignants. Il s'agit notamment d'outils pour vérifier les plagiats, rendre les travaux en ligne et proposer des forums de discussion, ou encore de solutions pour digitaliser l'expérience pédagogique (de la même manière que de nombreuses entreprises digitalisent leur expérience collaborateur). Ce déploiement progressif au cours des dix dernières années a permis aux professeurs et aux étudiants de s'adapter et d'enrichir l'expérience en classe grâce au digital.
Cependant, personne n'est vraiment préparé au niveau de disruption que ChatGPT causera sur le monde éducatif. Chaque devoir écrit peut être effectué à l'aide de ChatGPT, et si la demande est bien formulée, aucun outil de vérification de plagiat ne peut le détecter. Si tel est le cas, notamment dans les études à distance et en ligne, est-il vraiment possible de déterminer si les étudiants ont acquis les différents apprentissages ? Dans quelle mesure les employeurs peuvent-ils se fier aux diplômes des candidats ? Comment avoir la certitude que les étudiants disposent des qualifications mentionnées s'il est impossible de s'assurer que les devoirs n'ont pas été rédigés par ChatGPT ? De nombreux observateurs pensent d'ailleurs que la baisse de 10 à 15 % de l'utilisation de ChatGPT au deuxième trimestre 2023 est due à la période des vacances scolaires ! En outre, si la plupart des connaissances et apprentissages liés à un programme d'études sont disponibles sur ChatGPT, pourquoi ne pas faire appel directement à ChatGPT plutôt qu'à une personne censée avoir validé les acquis de ce programme ? La hausse de l'utilisation de ChatGPT est donc inévitable et confirme une transition avec une courbe en J. Il vous reste peu de temps pour vous préparer et agir avant que votre business model tout entier ne soit perturbé.