À l'ère de l'IA, les dirigeants doivent instaurer la confiance. Mais comment ?

Avec la grande incertitude entourant l'IA, les équipes de sécurité et de gouvernance évoluent dans un environnement en perpétuel changement. Mais une chose est sûre : la confiance n'a jamais été aussi importante.

À l'ère de l'IA, les dirigeants doivent instaurer la confiance

Dans le dictionnaire, la confiance est l'« espérance ferme, l'assurance d'une personne qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose. » C'est un bon point de départ, mais nous savons tous qu'elle peut être difficile à acquérir. Dès l'enfance, on nous inculque que « la confiance ne se donne pas, mais se gagne ». À l'âge adulte, l'importance de la transparence, de l'honnêteté et de la responsabilisation n'est plus à démontrer. Malheureusement, nous savons aussi de plus en plus à quel point la confiance peut être fragile, facilement rompue et perdue. Nous sommes tous conscients de l'importance de la confiance, particulièrement dans un contexte de changement, sur un terrain peu favorable et inconnu où il faut négocier pour améliorer les choses. Et avec l'IA, les entreprises connaissent le plus grand des changements.

 

Que signifie la confiance ?

Le fait est que la confiance est un sujet complexe. Paul Thagard, dans Psychology Today, l'a qualifiée de « processus neuronal complexe [qui est] rarement absolu, mais [...] limité à des situations particulières [...] la rencontre entre les expériences actuelles, les souvenirs et les concepts ». En d'autres termes, contrairement à Pangloss dans Candide de Voltaire, nous ne faisons pas aveuglément confiance à tout le monde. Nous développons notre sentiment de confiance envers quelqu'un, quand et dans quelle mesure, sur la base d'un ensemble d'expériences directes et indirectes vécues tout au long de notre vie. Et lorsque cette confiance est ébranlée, il est très difficile de la restaurer.

Tous les dirigeants doivent instaurer la confiance et comprendre pourquoi elle est préférable à des mesures de fidélisation rudimentaires qui donnent le sentiment d'être enfermé dans une « prison dorée ».

Paul J. Zak, dans la Harvard Business Review, est allé plus loin en mesurant la production d'ocytocine pour montrer que la confiance peut entraîner des changements positifs spectaculaires au niveau du stress, de l'énergie, de la productivité et de l'engagement. Même sans ces preuves tangibles, la plupart d'entre nous conviendront instinctivement que la confiance est une bonne chose qui conduit à des résultats positifs. Mais, en particulier dans le sillage de la Grande démission et de la Démission silencieuse, tous les dirigeants doivent s'atteler à instaurer la confiance et comprendre pourquoi elle est préférable à des mesures de fidélisation rudimentaires qui donnent le sentiment d'être enfermé dans une « prison dorée ». C'est particulièrement vrai aujourd'hui pour les DSI avec l'IA et le Machine Learning (ML) qui agissent comme des super-catalyseurs, synonyme de changements massifs dans notre façon de travailler.

 

Le changement est difficile sans confiance

Le changement est l'un des aspects les plus difficiles à gérer dans une entreprise, mais comme le dit l'adage, même si le changement est difficile, ne rien faire est encore plus difficile. Le changement nécessite bien sûr une stratégie bien planifiée, avec de nombreuses vérifications diligentes pour démontrer que la décision d'entrer sur un nouveau marché ou une nouvelle région, ou bien d'appliquer un nouveau modèle d'entreprise, est la bonne. Mais le défi du changement réside en grande partie dans les soft skills, la capacité à diriger, à persuader et à créer un consensus. La confiance est à la base de tous ces aspects. 

Les dirigeants doivent convaincre les collaborateurs, les partenaires et les clients. L'IA replace la confiance sur le devant de la scène, car elle repose sur la collecte de vastes ensembles de données. Il n'a donc jamais été aussi important d'indiquer clairement quelles données sont collectées, comment elles sont obtenues et comment elles seront utilisées, tout en faisant preuve de transparence quant aux facteurs de risque et à l'incertitude. Pour que l'IA ne soit pas source d'anxiété, nous devons dès à présent mettre en œuvre des politiques de protection et nous assurer que tout le monde y a accès et les comprend. 

70 % des dirigeants accueillent favorablement l'IA et 65 % sont convaincus que leur entreprise la déploiera de manière fiable.

Quel est notre niveau de confiance dans l'IA aujourd'hui ? Faible, ce qui n'est pas surprenant face aux problèmes de l'IA générative comme les hallucinations (l'IA génère une réponse fausse qui est présentée comme un fait) ou les LLM qui reprennent des données de sources inconnues sur le Web et qui ne respectent pas toujours les droits d'auteur. Une nouvelle étude menée par FT Longitude pour Workday montre qu'il existe un fossé évident entre les dirigeants et les collaborateurs :

Attention au fossé ! 70 % des dirigeants accueillent favorablement l'IA et 65 % sont convaincus que leur entreprise la déploiera de manière fiable, contre 46 % et 51 % des collaborateurs, respectivement.

Diriger sans imposer : quatre collaborateurs sur cinq déclarent ne pas avoir observé d'interactions collaboratives avec leur employeur au sujet de l'IA et n'avoir reçu aucune directive quant à son utilisation.

Éduquer et s'engager : un collaborateur sur quatre n'est pas convaincu que son entreprise placera ses intérêts avant ceux de l'organisation. En outre, 69 % des dirigeants prévoient que l'IA réduira le travail manuel dans une large mesure, contre seulement 38 % des collaborateurs.

Cette étude vient confirmer les preuves existantes de l'importance de la confiance dans l'IA. Un rapport rédigé en 2023 par KPMG en collaboration avec l'université australienne de Queensland sur la base de 17 000 participants du monde entier, a révélé des réactions extrêmement négatives, 61 % des personnes interrogées se déclarant indécises ou méfiantes à l'égard de l'IA. Toutefois, en y regardant de plus près, les données sont plus nuancées avec, par exemple, beaucoup plus de réticence à faire confiance à l'IA dans les RH que dans le domaine du diagnostic médical. Il convient également de noter que les préjugés à l'égard de l'IA ne peuvent pas être attribués à la simple technophobie, 85 % des personnes interrogées affirmant que l'IA devrait apporter toute une série d'avantages.

Nous savons également que l'IA est l'un des phénomènes les plus importants et les plus rapides de l'histoire de la technologie, dont il est difficile de prévoir les prochaines évolutions quant à son fonctionnement, son application et son contrôle. Par conséquent, si votre entreprise mise sur l'IA pour apporter des changements significatifs, elle doit s'intéresser aux préoccupations de ses collaborateurs et partenaires, et trouver des solutions pour les atténuer.

Nous serons peu nombreux à développer nos propres modèles LLM ou à ressentir le besoin de créer des applications centrales sur mesure en dehors de celles offrant un avantage concurrentiel direct. Nous devons donc sélectionner des fournisseurs et autres partenaires ayant de solides antécédents en matière de gestion des données.

Comme pour tout changement technologique majeur, nous savons que le chemin est semé d'embûches. Pensez au Cloud, au SaaS, à la blockchain ou au e-commerce : les obstacles à surmonter sont nombreux avant de se sentir à l'aise. Beaucoup d'entre nous ont l'impression de vivre dans la jungle, loin de ce que Gartner appelle le « Plateau de productivité ». Alors comment l'atteindre ?

Établir la confiance de manière progressive

Voici quelques étapes pratiques identifiées lors de nos réflexions.

Utiliser une plateforme technologique de confiance

Nous serons peu nombreux à développer nos propres modèles LLM ou à ressentir le besoin de créer des applications centrales sur mesure en dehors de celles offrant un avantage concurrentiel direct. Nous devons donc sélectionner des fournisseurs et autres partenaires ayant de solides antécédents en matière de gestion des données et de mesures strictes de protection de l'IA. Demandez à vos fournisseurs quelles pratiques concrètes ils appliquent en matière de gouvernance et de sécurité de l'IA. Demandez les noms de clients qui figurent parmi vos homologues. Recherchez des preuves de l'existence d'architectures qui évitent les biais grâce à des techniques telles que le « dynamic grounding » permettant de ne capturer que les informations les plus fiables et les plus récentes des LLM. Recherchez des contrôles d'accès et de récupération forts, ainsi que des capacités de masquage des données pour protéger les sources. Insistez sur des politiques de conservation strictes et sur la possibilité d'identifier et de bloquer les contenus toxiques. En outre, recherchez des fournisseurs qui participent activement à l'élaboration de normes et à la mise en place de mesures de protection pour l'IA.

 

Faire la distinction entre automatisation et augmentation

L'une des principales craintes suscitées par l'IA est une disruption massive des postes de bureau, certains emplois humains étant désormais considérés comme inutiles car pouvant être mieux réalisés par des machines. Les dirigeants doivent impérativement expliquer que l'IA vise à améliorer et à remplacer les tâches manuelles fastidieuses par l'intelligence des machines, libérant ainsi les hommes pour faire ce qu'ils font le mieux : faire preuve d'empathie et de créativité, collaborer et résoudre les problèmes.

La transparence étant le meilleur remède, il faut impliquer les collaborateurs et leur donner la parole. Accenture est un exemple d'entreprise qui a joué cartes sur table et a clairement indiqué qu'elle ne prévoyait pas de suppressions d'emplois, mais qu'elle s'attendait à des hausses massives de la productivité grâce à l'IA. Ce type de message clair contribuera grandement à rassurer le personnel susceptible de se sentir vulnérable ou exposé. Et si votre entreprise n'est pas dans cette optique et considère cette opportunité uniquement comme un moyen de procéder à des suppressions massives d'emplois et à des réductions de coûts, il est peut-être temps d'envisager vos autres options d'emploi.

Montrer l'exemple

L'homme politique qui affirme qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts et qui les augmente quand même perd immédiatement la confiance de ses concitoyens. L'entreprise qui adopte un comportement éthique, puis exploite ses collaborateurs ou travaille avec des partenaires douteux, épuise son capital confiance. Les actes étant plus parlants que les mots, les promesses en matière d'IA doivent donc être suivies d'effets.

 

L'IA est une opportunité pour les DSI

Dans son livre The Open Organization, l'ancien CEO de Red Hat, Jim Whitehurst, fait l'éloge de la notion de démocratisation de la prise de décision dans toute l'entreprise, voire en dehors. D'après lui, les dirigeants doivent indiquer clairement lorsqu'ils ne savent pas quelque chose plutôt que de prétendre être omniscients.

La plupart des PDG modernes doivent être conscients des implications de l'IA pour leur entreprise, mais ils auront besoin de toute urgence de l'aide des DSI et d'autres spécialistes pour comprendre les complexités techniques, juridiques et éthiques. En instaurant la confiance et en se préparant dès maintenant à la probabilité d'une disruption massive provoquée par la technologie, les dirigeants avisés seront en mesure de surfer sur ce qui promet d'être l'une des grandes vagues stratégiques de notre époque.

Comme un DSI me l'a un jour dit, « la confiance est une rue à double sens, difficile à négocier. Personne ne sait exactement ce qui nous pousse à avoir confiance en l'autre. Mais nous savons qu'une fois que la confiance est perdue, c'est irréversible. Le message doit donc être transmis avec précaution. »

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